Il arriva près d'une colline. C'était, en réalité , un petit volcan péléen qui avait perforé l'épais manteau de granite du sous-sol comme un fleuve vertical jailli des profondeurs terrestres pour cracher son basalte noir plus dur que l'acier. L'appareil éruptif était détruit mais, semblable à un arbre dépourvu de branches au tronc immense et caché, il plongeait ses racines multiples dans le magma profond, au contact du feu. Cette puissance souterraine qui sans doute vivait encore et qui pouvait se ranimer,l'émerveillait , le subjuguait,le laissant immobile pendant de longs instants .
Les hommes croyaient maintenant la dompter en l'attaquant avec leurs engins mécaniques ,mais ils n'effleuraient qu'une mince couche épidermique du volcan. La pierre noire fondue dans la fournaise du centre de la terre, était concassée puis enrobée de goudron et servait de tapis routier dans la campagne alentour. C'était un immense chantier avec des perforatrices qui préparaient les trous de mines, des pelles capables d'engloutir dans leur gueule géante deux mètres cubes de lave, un concasseur affamé de magma qu'il avalait à longueur de journée, qu'il broyait avec ses dents d'acier et recrachait sous forme de billes de gravier et de gangue accumulées en terrils autour desquels stagnait un brouillard minéral de pyroxène éclairé par des paillettes de feldspath miroitant au soleil. Le va-et-vient des camions lourdement chargés, des bulldozers poussant devant eux des masses énormes d'éboulis ,les échappements des compresseurs,le claquement des mâchoires des concasseurs ,les explosions des mines suivies du fracas des blocs qui s'écroulaient , tout cela créait une vie d'enfer dans un brouillard poussiéreux imprégné d'une âcre odeur de poudre et d'huile brûlée.
Le soir venu et la journée finie, le tumulte cessait, la nature redevenait elle-même et l'air était à nouveau respirable : le volcan apparaissait alors dans toute sa beauté. Dynamité, dévoré par les haveuses ;c'était une grande paroi verticale hérissée de milliers d'orgues pointées vers le ciel comme des épées de géants ou semblables aux dents d'un monstre de l'abîme.
Alors, avant de partir, il ferma les yeux et, du plus profond de lui-même,surgit un vaste tableau. Dans la quiétude vespérale, son esprit divaguait, remontait les millénaires jusqu'à ce que la montagne hercynienne se plissât lentement et que le sous-sol tremblât. Le Forez se soulevait, se gonflait puis s'effondrait en morceaux . Enfin cette petite colline sortait de la terre pour devenir ces prismes pentagonaux, ce verre noir semé de microlithes que l'oeil discernait à peine.
Au fond, tout au fond, c'était l'alchimie : les métaux fondaient ,la silice se combinait au fer, l'alumine et le magnésium s'amalgamaient,bouillonnaient à deux milles degrés. Le volcan vivait, pétrissant un mortier de lave incandescente, qui créerait l'incendie et l'agonie d'un monde. Et puis c'était l'attente, le silence inquiétant , une stupeur profonde . Les oiseaux se taisaient et fuyaient la forêt, avertis qu'une chose grandissait dans la terre, avertis par leurs ailes, per leurs plumes , par leur bec, par une odeur magmatique inconnue . Les abeilles délaissaient le creux des arbres et les rayons de cire garnis de miel blond. Les rongeurs affolés couraient dans tous les sens. L'herbe se flétrissait ,brûlée par un soleil qui venait de la terre. Les arbres sentaient la chaleur interne d'une effroyable haleine qui brûlait leurs racines. Comme le bruit de l'ombre, un râle souterrain hurlait. La nuit des profondeurs poussaient devant elle une lave brûlante et destructrice, une fureur, un tonnerre qui soulevait la montagne pour calciner une vie condamnée.Et tout disparaissait. De ce jaillissement immense de chaleur, des bulles de vapeur s'élevaient dans le ciel avec des turbulences et d'énormes volutes noires torsadées en surface. Un gigantesque nuage au-dessus du volcan. Un nuage qui bourgeonnait ,s'enflait,coloré de noir et de reflets sanglants. Des éclairs d'où jaillissait la foudre. Le nuage , le volcan. Combat de deux géants qui se jetaient du feu. Venait enfin la pluie diluvienne,comme pour éteindre cet immense brasier.
Bientôt le rêve devenait fiction. D'une main divine sortaient impétueusement d'immenses jets fertilisants projetés par dessus le volcan et qui transformaient la lave stérile en champs de blé, en ceps de vigne chargés de lourdes grappes prometteuses d'abondantes vendanges. Sur un monde mort naissait un nouveau monde.
Mais le rêve cessait, il fallait rentrer. Déjà , à louest, les dernières lueurs du soleil couchant s'éteignaient ; la nuit tombait, plongeait dans l'ombre les engins mécaniques qu'on oubliait, effaçait tout détail et simplifiait le paysage qui prenait l'aspect d'un décor de théatre. Au ciel , les constellations traçaient leurs figures géométriques , une lune de cuivre baignait de sa lueur blafarde l'immense paroi de basalte en soulignant les orgues d'une ombre de fusain. Les hululements sinistres des rapaces nocturnes trouaient le silence des ténèbres en se réfléchissant sur la paroi rocheuse.