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11 novembre 2011 5 11 /11 /novembre /2011 21:20

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La scène se passe sur la ligne des crêtes  qui sépare les vallées de l'Ance et de la Dore et au Siège de la Reine. Il est question de menhirs. Il en existe à St Pierre du Champ, à St André de Chalencon, au Monteil près de Chomelix, à St Jean d'Aubrigoux, à Craponne sur Arzon  et  enfin ,la Pierre levée de l'Argentière , à Beaune. De taille variant de un à deux mètres,ils sont souvent creusés au sommet  d'une cavité. Quant aux dolmens, citons celui de St Jean d'Aubrigoux,et la "Trialle " qui a cédé sa place à Meydeyrolles au monument aux morts....

 

On venait d'enterrer un homme de la tribu,un vaillant chasseur qu'un  vieux sanglier aux canines démesurées avait mortellement bléssé. Les jeunes l'avaient porté dans le dolmen où ils avaient repoussé  les os des ancêtres oubliés.  Ils avaient pris soin de placer le corps en position foetale pour que du ventre de la terre, le mort ressuscitât mais dans un autre monde.Autour,des armes , des outils ,des colliers  ,de la nourriture avaient été disposés afin que le défunt puisse se défendre, travailler,  se nourrir et dignement paraître dans l'au-delà.

         Un homme ! Un homme en moins ! Ils n'étaient pas si nombreux à vivre dans ces abris sous roche :quelques enfants échappés à la mort, des femmes très tôt vieillies,et cinq  ou six hommes hirsutes avec de grands yeux au regard intense.Encore n'étaient-ils  pas tous ingambes ; l'un d'eux souffrant  d'une fracture mal réduite  se traînait lamentablement; un autre perclus de rhumatismes,bien qu'il fût jeune ,  ne bougeait plus sur son lit de fourrures. Ils se ressemblaient tous, avec leurs narines largement ouvertes, leurs mâchoires violentes et leurs grosses arcades sourcilières  qui faisaient comme un bourrelet sur leurs visages  courts et larges.Aux cous se balançaient les pendeloques, les colliers de canines de loup portés en amulettes. Peu d'hommes , et pourtant  plus les chasseurs étaient nombreux  meilleure était la chasse . La nourriture suffisait à peine. Il restait un  peu de viande boucanée,des cuisseaux de cerf que le ruisseau refroidissait , des fruits sauvages-noisettes, glands et faînes -que les femmes avaient cueillis, des rayons de miel trouvés dans un tronc fourchu et de jeunes racines déterrées à la lisière d'un bois . Si les butins  ne s'amélioraient pas  ,les vivres manqueraient.

     La tribu s'était  établie dans un lieu élevé d'où les guetteurs pouvaient facilement voir  venir l'ennemi  ou les fauves redoutés.C'était la nuit . Un mur de feu entourait le village et la vestale Ea était chargée de le faire vivre en l'alimentant sans cesse de branches mortes. Le feu  ! C'était un morceau de soleil indispensable  à la vie. Il protégeait des  bêtes; il était source de chaleur et de lumière, il cuisait les aliments,  il durcissait  les épieux. Le feu  pour conquérir le monde ! Et bien qu'on sût  maintenant le créer  en frottant rapidement  deux morceaux de bois  sec , il fallait qu'il vive. La vestale le veillait.

        L'aube allait poindre  et comme  les jours précédents, Koûm, jeune homme  qui avait vu quatorze étés, sortit de sa demeure pour s'asseoir dehors, en attendant le lever du jour. Mais aujourd'hui , le froid de la nuit le pénétrait. Il rentra , évita les pierres du foyer éteint  et dans la pénombre , il aperçut  sur des fourrures,d'une fille endormie , le corps  nu et lové dont le formes juvéniles l'invitaient  à l'amour. D'un désir exacerbé par plusieurs jours d'abstinence  qu'il s'était  imposée,il refoula la violence  , non par ascèse  morale mais pour garder toute sa force d'émotion et toute sa puissance magique. Il s'arracha à ce spectacle  lascif, sortit rapidement  en jetant sur ses épaules une  peau laineuse. Il vint s'asseoir en face de deux menhirs plantés à proximité. Il attendait. Les flammes de l'anneau de feu  arrachaient  le camp  à l'obscurité,rendaient plus sombres les espaces éloignés et balançaient l'ombre démesurée de la vestale. Il n'avait point sommeil et devant son village endormi,il ressentait un sentiment d'orgueil . Il regardait les étoiles ,cette multitude d'yeux qui lui jetaient une lumière froide et qui dessinaient  des objets et des animaux fantastiques. La nuit s'étirait  paresseusement et n'en finissait plus de mourir. Enfin une faible lueur  éclaira l'horizon ,devint de plus en plus intense : le jour se levait. Le soleil apparut exactement  dans l'axe  des deux pierres  levées. C'était   ce soir   qu'il partirait .

       Quatorze  étés, Koûm commençait sa vie d'homme. Il allait  pouvoir se servir des armes,des harpons  à double barbelures,des piques, des bifaces de silex. Il allait affronter  des animaux dangereux qu'il tuerait pour nourrir le village. A la tombée du jour, il prit une lance à pointe durcie  au feu, une massue et un javelot. . Il partit. Sa route était tracée. La ligne des crêtes  était jalonnée de plusieurs feux.C'était les menhirs allumés. Visibles de très loin, il empêchaient de se perdre dans  la sylve touffue. Au passage  Koûm jetait  dans les cavités sommitales des boules de résine  pour ranimer  les flammes vacillantes. La route resterait  éclairée toute la nuit. Dans l'ombre ,les pierres levées accusaient leur forme phallique qui assurait la pérennité de la vie humaine et animale.  Il rencontra  des chasseurs, des jeunes comme lui qui suivaient  ce chemin pour la première fois ; d'autres plus vieux , habitués à marcher  dans ces sentiers  et à  organiser cette nuit d'initiation  et de magie .

          Tous ensemble , ils allèrent longtemps, toujours sur les sommets, d'une borne lumineuse à une autre jusqu'à ce que la ligne des crêtes s'infléchît   vers une nouvelle vallée plus grande que celle  où ils vivaient  et que les aînés  évitèrent pour se diriger vers un autre  versant où des flammes trouaient la nuit  et signalaient le site. Ils grimpèrent directement  à travers  la forêt pour déboucher  dans un espace vide, une clairière au sol  peu incliné  et dominée par un amoncellement de rochers. L'extrémité de l'un  portait un foyer de résine et de poix beaucoup plus important que ceux qu'ils avaient rencontrés . La nuit,  de cette grande flamme jaillissant du sommet d'une aiguille de granite,dans cet espace au sol nu, entouré par l'angoissante forêt , de ce lieu réservé aux rites ancestraux pratiqués depuis des siècles ,  rayonnait  une telle puissance  d'effroi  que la stupeur immobilisa Koûm venu ici  pour la première fois. Des inconnus se trouvaient là. Ils habitaient  sur l'autre pente de la vallée,  au soleil levant ou près des sources  de la rivière. Beaucoup de jeunes qui désiraient devenir de vrais chasseurs, tous animés par la volonté  d'acquérir une emprise sur l'animal  pour que leurs lances , leur pièges, leurs projectiles de silex  ne manquent pas leur but. Plus nombreux que les doigts de dix mains, avec leurs crânes ronds serrés dans des bandeaux  qui plaquaient leurs chevelures, avec leurs fronts fuyants , leurs gros yeux au regard profond, ils incarnaient une volonté farouche, celle de vaincre et de se vaincre pour être plus forts que la nature et pour la dominer . A leurs ceintures pendaient les haches et les couteaux, les bolas, ces frondes  qui s'enroulaient autour des pattes et les brisaient  . Ils étaient aussi armés d'épieux  à la pointe acérée, de gourdins  noueux et tenaient en leurs mains les coups-de poing, projectiles triangulaires  tranchants très efficaces  quand ils étaient lancés avec beaaucoup de force  . Les fourrures de toute la faune de la région servaient de vêtements. C'était des dépouilles de loup ,des toisons de chevreuil , dont on appliquait le poil directement  sur la peau, des cuirs de boeufs cousus avec des crins , des ligaments  ou des nefs ,des peaux de cerf que les aiguilles  d'os avaient transformés en manteau , en capuchons  capables de protéger des froids les plus  intenses.

        Près des rochers étaient entassés  des troncs de génévriers,  un  pour chaque homme . Maintenant ils s'en approchaient lentement. A la grande flamme , à tour de rôle,ils allumèrent leurs torches puis allèrent se ranger   en cercle ,  en contrebas . Aucun geste manqué, les jeunes imitaient les aînés et cet anneau d'hommes  brandissant leurs flambeaux  ,   avait quelque chose de sacré,d'envoûtant , lourd d'émotion  pour les néophytes.Puis le cercle avança vers son centre jusqu'à ce que  les épaules se touchassent. Il ne restait plus qu'un espace réduit . Cinq hommes parmi les plus musclés  confièrent leur lanterne à leur voisin puis se mirent  à creuser  au centre avec des omoplates qui  leur servaient de pelle.. La tache  allait bon train sans fatigue apparente. Un fosse apparaissait profonde et large . La terre n'était point laissée en talus  mais répandue sur le sol alentour. Puis le grand cercle  se reforma toujours éclairé  par les brandons qui  créaient des zones d'ombre et de  lumière  propices  à l'émotion magique. A nouveau , il y eut rupture de l'ordre circulaire, les hommes se rassemblèrent  par groupes  près des sacs de peaux  contenant de l'argile  ocre. Ils s'enduisirent  le corps pour dissimuler leur odeur, leur couleur  et leur qualité d'homme. Alors  commença une marche silencieuse et feutrée , à pas de loup, dos courbés et les mains touchant le sol comme pour mieux approcher l'animal ; puis ils pousuivirent une bête imaginaire en brandissant leurs massues , leurs harpons et leurs haches de silex, et  en lançant des cris gutturaux  de peur et de joie. Ils simulaient une attaque menée par les chasseurs ou par un fauve rendu furieux par ses blessures. Ce n'était  pas   seulement  une imitation, l'apprentissage  de gestes  favorables  à l'avance  dissimulée et  à la mise  à mort , mais une véritable chasse  où les participants , sous la puissance  du mimétisme  s'étaient transformés pour devenir des monstres  à mi-chemin  entre l'animal et l'homme.

     Bientôt la disposition en cercle en cercle reprit. Des têtes d'animaux circulaient  de mains en mains ; celle d'un loup au pelage  fauve dont les yeux  grand-ouverts  exprimaient encore toute  leur férocité, celle d'un renard, exhibant ses canines pointues, le crâne d'un taureau aux cornes solides  que Koûm regarda longtemps. Il le tenait près de lui  et anticipait l'acte de chasse, se voyait aux prises  avec ce quadrupède énorme qui le chargeait , mais il surmontait  sa peur instinctive , il le dominait, le tuait. Il y avait encore la hure d'un sanglier  au pelage brun  et pourvue d'un énorme boutoir ; les bois d'un vieux cerf qui suggéraient  l'animal entier. Les hommes poussaient  des cris rauques  , des cris d'animaux , des grognements  de quartannier, des hurlements de loup , des jappements de renard , des brâmes de  cerf.

           Enfin   on recouvrit de  branchages légers  la fosse  creusée  au milieu  de la clairière magique.  Puis les hommes  se dispersèrent  dans la forêt en élevant leurs torches  de génévriers  dont la flamme  brillante  éclairait  le moindre hallier.  Leur odorat subtil leur fit découvrir des laissées et leur perspicacité  des endroits  fouillés.  Un solitaire se vautrait dans sa bouge. Se voyant  débuché il partit   comme un éclair, mais une double rangée  d'hommes  se forma rapidement  obligeant  la bête  à aller  de l'avant, vers la descente. L'animal  effaré grognait méchamment , cherchait  à fendre  cette barrière humaine , cette multitude  de jambes  qui le privait de sa liberté. Progressivement  le couloir  des chasseurs  se  détruisait  en amont, se reformait   plus bas  pour canaliser l'animal. Profitant de la déclivité  du terrain  le sanglier essaya , dans une courbe de recouvrer   les grands espaces . Il fonça. C'était en direction de Koûm qui tressaillit  et devint blême malgré ses armes.  Très rapidement  le jeune chasseur revit l'homme  rapporté exangue , les membres déchirés , prêt à mourir. La scène se répétait   ; son coeur se mit  à battre très vite et très fort, à lui faire mal sous sa peau horripilée. Mais il se ressaisit  et planta son épieu dans l'épaule de l'ennemi qui  de plus en plus furieux changea de cap  en    marquant  son chemin de gouttes de sang. Les chasseurs refermant sans cesse le couloir, l'animal chuta dans la fosse

Alors  au milieu  des cris  des hommes  et des grognements  de colère du prisonnier, une danse  chantée commença. C'était comme un hymne , un chant guerrier au rythme  lent , une marche  grave au mouvement ample   et large qui s'accéléra pour se transformer  en une sarabande  joyeuse , en un galop rapide .  L'ivresse des cris et de la danse  groupait les désirs  identiques  en une  conscience  unique et magnifiait  la force de la communauté; et tous ces corps  où la sueur ruisselait, toutes ses têtes qui s'agitaient  n'étaient plus  qu'un seul corps, qu'une seule tête qui vibrait  au martèlement  de la multitude des pieds. Au comble  de l'exaltation ,les chasseurs se disposèrent  en deux cercles  :devant les jeunes , à l'arrière les anciens  et tous tenaient  d'une main  un épieu , de l'autre  une torche  résineuse . Un signal fut donné, les épieux s'abaissèrent  violemment vers la fosse et un  long cri de douleur déchira la nuit.

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